Dinéault vu du ciel par Pascal Le Baut (Facebook)
Dinéault vu du ciel par Pascal Le Baut (Facebook)

La polémique autour du projet immobilier de Sandrine Rousseau à Dineault dépasse le simple fait divers. Elle révèle une fracture bretonne : artificialisation des terres, exode des jeunes, “petit remplacement” démographique. Entre résidences secondaires et agriculture en crise, la Bretagne doit choisir son avenir.

À Dineault, petite commune du Finistère, la polémique enfle depuis la révélation d'un projet d'acquisition par Sandrine Rousseau, députée écologiste et figure nationale des Verts, d'une résidence secondaire située en zone agricole. Vendredi dernier, une centaine d'agriculteurs et leurs familles se sont rassemblés devant la propriété pour un barbecue symbolique, protestant contre ce qu'ils considèrent comme une atteinte à la vocation nourricière des terres.

Cette mobilisation trouve un écho particulier dans le monde agricole breton, encore marqué par les propos tenus par Sandrine Rousseau le 11 juillet dernier dans une interview au Média : " Je n'ai rien à péter de leur rentabilité (…) La rentabilité de l'agriculture par des produits chimiques au détriment des sols, de la biodiversité et de notre santé, ce n'est pas de la rentabilité, c'est de l'argent sale ". Des paroles qui avaient suscité un vif tollé dans les campagnes.

Une crise agricole profonde

Les chiffres sont alarmants : en Bretagne, une exploitation disparaît tous les deux jours. En trente ans, le revenu moyen des agriculteurs a chuté de 40 %. En 2016, on recensait 529 suicides d'agriculteurs en France, soit plus d'un par jour. Près de 18 % vivent sous le seuil de pauvreté.

Dans ce contexte, chaque perte de terre agricole, chaque installation empêchée, est vécue comme un coup supplémentaire porté à une profession déjà fragilisée.

Foncier agricole : un enjeu vital en Bretagne

La polémique Rousseau met en lumière un problème structurel : la pression foncière sur les terres agricoles bretonnes. Selon la SAFER, la surface agricole utile diminue chaque année, grignotée par l'urbanisation, les projets d'aménagement et l'essor des résidences secondaires. Ce phénomène d'artificialisation des terres — souvent irréversible — réduit les espaces disponibles pour nourrir la population et compromet l'installation des jeunes agriculteurs.

Dans de nombreuses communes rurales, des terrains à vocation agricole sont rachetés pour un usage résidentiel ou de loisirs, souvent par des acheteurs extérieurs à la région. L'attractivité touristique, conjuguée à la recherche de calme après la pandémie, accentue cette tendance et fait grimper les prix.

Un exode discret : "le petit remplacement"

L'histoire se répète, mais sous une forme différente. Au XXe siècle, de nombreux jeunes Bretons quittaient leurs villages pour devenir ouvriers agricoles ou domestiques en région parisienne. Aujourd'hui, ils partent pour faire leurs études ou exercer des professions de cadres à Paris, à Lyon ou à l'étranger.

En parallèle, les maisons libérées ou mises en vente sont souvent acquises par des retraités ou des familles urbaines à fort pouvoir d'achat. Résultat : dans certaines communes, une proportion importante des habitations ne sont occupées qu'un ou deux mois par an.

Certains sociologues parlent d'un phénomène pouvant s'apparenter à un "repeuplement ?" — dernière phase d'une colonisation réussie selon les historiens. Il n'y a pas forcément une volonté politique mais certains disent que la vocation touristique de la Bretagne aurait été encouragée à Bruxelles. En tout cas il y a une dynamique économique et sociale manifeste qui montre ce repeuplement. Cette transformation silencieuse modifie la structure démographique et l'identité des territoires ruraux bretons.

Au-delà du cas Rousseau

Le projet immobilier de Sandrine Rousseau n'est pas un cas isolé. De nombreuses communes bretonnes sont confrontées à des acquisitions de résidences secondaires sur des terrains jusque-là agricoles. Mais l'ampleur médiatique de cette affaire a eu le mérite de braquer les projecteurs sur un enjeu crucial : comment préserver le foncier agricole et permettre aux jeunes de s'installer dans un contexte de pression immobilière et touristique croissante ?

Conclusion
Deux visions de la Bretagne s'affrontent :

  • Une "maison de repos" ou "maison de retraite" géante, où les fermes deviennent des gîtes ou des résidences secondaires et les terres agricoles des pelouses, des campings, des prairies, voire des zones reboisées.

  • Un "tigre celtique", moteur économique de l'arc atlantique, capable de conjuguer énergies marines en abondance, industrie des composites innovante, exploitation responsable des métaux rares, agriculture de qualité et pêche hauturière performante.

Le cas Rousseau, au-delà de la personnalité qu'il implique, révèle une question qui dépasse largement la polémique : quelle Bretagne voulons-nous pour nos enfants ?