Mouloud At Azzedine
Mouloud At Azzedine © CC-BY-SA ABP
Kabylie : répression, diaspora, indépendance — l’interview

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Mouloud At Azzedine sur la Kabylie et l’autodétermination

Au Festival du livre en Bretagne (Carhaix), entretien avec Mouloud At Azzedine, porte-parole du gouvernement kabyle (provisoire) en exil : état des lieux d’une région amazighe du nord de l’Algérie, dotée de sa propre langue — le kabyle —, d’une histoire et d’une culture distinctes, qui rêve d’indépendance.

Carhaix–Plouguer (Finistère), Centre Glenmor — Invitée d’honneur du Festival du livre en Bretagne ce week-end, la Kabylie est au cœur d’une interview ABP exclusive de Mouloud At Azzedine, porte-parole du gouvernement kabyle (provisoire) en exil. Il y retrace la trajectoire du mouvement kabyle vers l’autodétermination, et annonce un rendez-vous politique le 14 décembre 2025, date visée pour une déclaration d’indépendance. Selon lui, le drapeau kabyle hissé sur la façade de la mairie de Carhaix constitue « une première en France » et envoie un signal symbolique vers la reconnaissance.

Une histoire singulière

L'histoire de la Kabylie est celle d'un peuple dont l’organisation confédérale est attestée depuis au moins le 3e siècle de notre ère. Elle est caractérisée par une résistance permanente aux tentatives d’invasions étrangères. Dès l'Antiquité, ses habitants ont dû lutter contre la domination romaine, vandale, byzantine et arabe. Ils ont toujours su préserver leur identité et leurs coutumes au fil des siècles. A partir du 16e siècle, la conquête ottomane d’Alger a vu la Kabylie conserver son indépendance. C’est la colonisation française (1830-1962) qui y a marqué un tournant, en réussissant militairement à faire de la Kabylie une région d’Algérie. La Kabylie, farouchement opposée à la perte de sa souveraineté, a été l'un des foyers les plus actifs contre la colonisation et a joué un rôle déterminant durant la guerre d'indépendance (1954-1962).

Une culture ancestrale

La culture kabyle est d'une richesse immense nous dit une plaquette du festival du livre. Elle est transmise oralement de génération en génération et la langue kabyle  demeure le pilier de son identité. La langue kabyle n’a accédé à l’écriture que depuis environ un siècle, avec notamment Said Boulifa, Belaid At Ali et les missionnaires chrétiens de la colonisation qui ont constitué, des années durant, le Fichier de Documentation Berbère (FDB). Le Centre de recherche berbère estime les kabylophones à environ 5,5 millions au total, dont 3 à 3,5 millions vivent en Kabylie,  le reste est surtout dans les grandes villes d’Algérie et en diaspora. Il y aurait environ 8 millions de Kabyles dont environ un million en France.

Un gouvernement provisoire et une stratégie d’internationalisation

En juin 2001, Ferhat Mehenni et d’autres militants kabyles fondent le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK), qui prône, de 2001 à 2013, l’autonomie territoriale de la Kabylie dans un cadre algérien. Le 4 octobre 2013, à la suite d’une réunion de son conseil national, le mouvement devient le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) et milite depuis pour l’organisation d’un référendum d’autodétermination en Kabylie, visant l’indépendance.

Créé en 2010, le gouvernement kabyle en exil s’est, d’après Mouloud At Azzedine, clarifié en 2013 autour de l’objectif d’autodétermination. « Nous travaillons avec de nombreux amis au sein d’États et d’institutions ; au moment propice, ils se mettront en ordre de marche », explique-t-il. La déclaration d’indépendance annoncée pour décembre 2025 est présentée comme un « point de non-retour » dans ce processus.

La répression

En avril 2001, la mort d’un lycéen dans une gendarmerie déclenche de graves émeutes qui accentuent la rupture avec les autorités : c’est le « Printemps noir », au cours duquel l’intervention des forces de l’État fait 123 morts et des milliers de blessés. Vingt ans plus tard, en 2021, la répression en Kabylie aurait fait, selon Mouloud At Azzedine, environ 500 morts. Des villages auraient été incendiés et il y aurait aujourd’hui plus de 500 prisonniers politiques kabyles détenus en Algérie. Il dénonce l’usage de l’article 87 bis du code pénal algérien pour criminaliser la revendication pacifique et classer le mouvement kabyle comme « terroriste ». Le porte-parole évoque aussi des intimidations visant la diaspora en France et au Canada, ainsi que l’impossibilité pour nombre de militants de retourner en Kabylie.

Valeurs laïques et passerelles bretonnes

Le porte-parole met en avant les valeurs laïques et pluralistes que la Kabylie revendique et appelle à des passerelles avec la Bretagne — de la langue à la création éditoriale, en passant par des échanges culturels. À Carhaix, l’invitation d’honneur est, selon lui, l’occasion d’installer la Kabylie dans le débat public européen, au-delà des cercles militants, et d’ancrer des coopérations concrètes.

Notes sur les incendies de 2021

Des incendies majeurs ont touché la Kabylie (Tizi Ouzou, Béjaïa…), avec au moins 65 à 90 morts selon des bilans largement rapportés à l’époque (civils et militaires). Des cartes et images satellites (Copernicus, NASA) confirment l’ampleur et la localisation des feux.

Selon Mouloud At Azzedine, le bilan réel serait nettement plus lourd (environ 500 morts) et desvillages incendiés, chiffres qu’il n’est pas possible de confirmer de manière indépendante. Le contexte juridique et médiatique en Algérie (usage contesté de l’article 87 bis du Code pénal, contraintes pesant sur la presse) a pu créer des angles morts dans la couverture.

 Panaches de fumée au-dessus de la Kabylie (10 août 2021). Source : NASA Earth Observatory / MODIS (Aqua).