Le bocage de Lann ar Marroù à Saint-Rivoal. Source : H. Kere, WikiCommons
Le bocage de Lann ar Marroù à Saint-Rivoal. Source : H. Kere, WikiCommons

Alors que le champion mondial du libre-échange, les USA, érige partout des droits de douane de 15 à 30 % pour se protéger des délocalisations et de l’effondrement, l’Europe persiste à croire au dogme libéral. MERCOSUR est un anachronisme : il condamne l’UE à l’effacement géopolitique et la Bretagne à la fin des exportations agricoles et même de son agrobusiness. Dans vingt ans, il ne restera ici que les circuits courts — et le bio.

Les marchés se referment mais Bruxelles ouvre grandes les portes

Le protectionnisme fait son retour. Les USA rétablissent les douanes et les tarifs douaniers. Tu me fais ça, je te fais ça. La préférence nationale l'emporte sur le libre-échange. L’Europe, quant à elle, déploie « aujourd’hui » un accord envisagé il y a 25 ans  dans un autre contexte  — cet anachronisme est au cœur du problème. Le MERCOSUR, ce nouveau marché commun entre l'Europe et l'Amérique du Sud, n’est pas une vision, mais une nostalgie. Sur le terrain, après la désindustrialisation due aux délocalisations, nous risquons une désagrarisation, particulièrement en Bretagne. Nos petites exploitations ne font pas le poids face aux latifundia en Argentine et le Brésil est le premier producteur de viande bovine au monde.

Environ 60 % des terres en Bretagne sont agricoles, dont 62 % en Loire-Atlantique. Des ateliers porcins aux poulaillers, en passant par les laiteries et les abattoirs, c’est tout un tissu d’emplois qui constitue la première économie bretonne qui risque de s'effondrer. C’est précisément la Bretagne que l’accord expose. D'autres territoires comme les régions viticoles pourront sans doute gagner en exportations. En Bretagne, l'élevage et les filières animales seront particulièrement impactés, ce sont celles où nous exportions encore un savoir-faire. 

Face à la concurrence européenne l'agriculture bretonne et la pêche sont déjà en crise depuis des décennies. La fin des importations de la fédération de Russie et à l'inverse, l'arrivée de produits ukrainiens, n'ont fait qu'agraver les choses . La Chambre d’agriculture de la région administrative constate une baisse de 6 % de la production porcine depuis 2021, 15 % pour la volaille de chair depuis 2020, et 4 % depuis 2023 pour les élevages de ponte.

MERCOSUR ou l'estocade finale

Avec le MERCOSUR le bœuf sud-américain arrive avec un contingent d’environ 99 000 tonnes à droits réduits. On peut ergoter sur les pourcentages européens, mais pour l’éleveur, les cours vont baisser. Plus dur encore, pour la volaille, c'est plus de 180 000 tonnes à zéro tarif qui sont attendues (source PDF en bas), alors que l’UE importe déjà beaucoup, notamment du Brésil.

Côté porc, le quota annoncé est plus modeste, autour de 25 000 tonnes, mais la filière sort de plusieurs années de coûts d'aliments élevés et d’obligations environnementales lourdes, mais les cours sont stables pour le moment. Pour le maïs, l’augmentation des entrées sud-américaines sur un marché instable risque d'être catastrophique pour la production locale.

Le Brésil n'est-il pas en train de brûler la forêt amazonienne ?

On le sait, mais on l'oublie quand cela arrange : les normes ne sont pas les mêmes. Ici, nous avons des passeports bovins, la traçabilité et des contrôles ; là-bas, la protection de l'environnement est moins exigeante, des hormones sont autorisées pour accélerer la croissance du bétail. Des pesticides interdits en Europe y sont autorisés. L'environnement n'est pas une priorité. Le Brésil n'est-il pas en train de brûler la forêt amazonienne ? Les clauses miroir se veulent rassurantes dans les discours. Quant aux clauses de sauvegarde, elles existent… mais arrivent souvent trop tard.

La colère monte

On nous parle de « compensations » pour l’industrie : des exportations de machines-outils, voitures, marchés publics là-bas. Certes, la Bretagne produit des machines agricoles, mais n'a pas de grands groupes compétitifs. À Rennes-La Janais, Stellantis produit le nouveau Citroën C5 Aircross, y compris en version électrique, mais l’essentiel des volumes vise d’abord le marché européen. L’idée d’un Eldorado sud-américain relève plus du vœu pieux que d’une réalité. Oui, l’industrie automobile allemande peut y trouver son compte. Sauf si les Argentins et les Brésiliens préfèrent les voitures électriques du chinois BYD. D'ailleurs l'arrivée de voitures chinoises BYD en Europe risque de menacer sérieusement l'industrie automobile allemande et bien sûr francaise.

Le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, écrit sur X : « Nous ne laisserons pas brader notre modèle, nos emplois ni notre souveraineté. Nous serons combatifs, avec le soutien des Français, pour refuser un accord qui sacrifierait notre agriculture sur l’autel d’une mondialisation sans règles. ». Les agriculteurs bretons n'ont pas dit leur derniers mots. Les bonnets rouges sont toujours sur le manteau de la cheminée.

Le retour de la grande forêt armoricaine ?

La Bretagne a déjà perdu la moitié de ses fermes depuis 2000 (compensé en partie par de plus grandes exploitations). Si le Brésil détruit sa forêt amazonienne, nous en Bretagne risquons de replanter la  forêt armoricaine de l'antiquité : une vaste forêt de Paimpont surtouristée parcourue de sentiers de randonnée. L'agence régionale Breizh-Finance Bois et le Centre National de la Propriété Forestière (CNPF)  financent déjà les projets de reboisements. Bien sûr, il nous reste notre sous-sol très riche avec des tas de minerais, et ça, ce n'est pas délocalisable. Le problème ? La majorité des Bretons sont contre l'ouverture ou la réouverture des mines.

Le tourisme, en passe de devenir la première industrie bretonne. Nos enfants qui resteront ici ne seront pas davantage cuisiniers ou serveurs. Les robots prendront vite ces postes. Les circuits courts et le bio survivront parce que c’est ce que veulent manger les visiteurs, mais les visites guidées deviendront un casque multilingue. Alors, sonnez les binious et les bombardes. Les festivals et le folklore, eux, ne sont pas délocalisables.

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