Amandine Crespy à gauche et Ulrike Guérot au centre.
Amandine Crespy à gauche et Ulrike Guérot au centre. © ABP

La république européenne ? Il ne s'agit pas de passer d'un état-nation à un super-état-nation comme certains ont bien voulu comprendre. Ulrike Guérot ne propose pas une nationalisation de l'Europe mais plutôt une helvétisation où les cantons suisses seront 70 régions européennes.

La professeure et chercheuse Ulrike Guérot était à Nantes à la Maison des Sciences de l'homme Ange-Guépin jeudi dernier, invitée par l'Université de Nantes dans le cadre de son programme de recherche "Alliance Europa". Amandine Crespy, professeure en sciences politiques de l'Institut d’études européennes de l'Université libre à Bruxelles, avait aussi fait le déplacement pour apporter un peu de contradiction. Le thème était :"Qu'est-ce qui vient après la nation, la démocratie en Europe et au-delà des nations".

Les nations ne sont pas quelque chose d'éternel ; elles ont commencé, elles finiront. La confédération européenne, probablement, les remplacera. __Ernest Renan discours sur la nation (1888)

Vers une république d'Europe

Citant Arendt, qui pensait que la Révolution française avait échoué, Ulrike Guérot réaffirme que "la démocratie est en danger dans les mains d'un état-nation". Nous le savons en Catalogne, en Bretagne, en Corse et presque partout en Europe. Mais un état-nation c'est quoi ? Un état-nation est un état qui a nationalisé son ou ses peuples. Mais une nation démocratique c'est quoi ? Guérot commence par explorer le concept de nation, en redonnant cinq définitions les plus appropriées. Avant d'imaginer ce qui vient après l'état-nation, il était indispensable d'avoir une définition correcte, non passionnée de la nation. Tour à tour, elle invoque : Renan (un avenir commun), Benedict Anderson (une communauté imaginée), Marcel Maus (une solidarité commune), Pierre Rosanvallon (un vote commun), et Theodor Schieder (une communauté de citoyens). A ces cinq définitions, on pourrait ajouter une sixième, celle d'Ulrike Guérot : une loi commune, une définition qui rejoint en fait la définition que fit Cicéron de la république romaine. Car pour elle, "c'est la loi qui fait la nation". La république européenne qu'elle propose sera tout cela à la fois.

L'appartenance nationale a priorité sur la démocratie, car la nation a conquis l'état.__Hannah Arendt citée par Guérot

Il ne s'agit pas de passer d'un état-nation à un super-état-nation Europe comme certains ont bien voulu comprendre mais de dénationaliser la démocratie. Ulrike Guérot ne propose pas une nationalisation de l'Europe mais plutôt une "helvétisation". Une Europe où les cantons suisses seront les 70 régions européennes (elle a d'ailleurs présenté une carte d'Europe d'avant les créations d'état-nations -- qui sont effectivement des structures récentes, oui une carte médiévale). Il n'y aura pas de langue officielle, et l'État sera séparé de la culture. Chacun pourra vivre son identité et enseigner son histoire et ses langues. Par contre les lois, la fiscalité et la protection sociale seront normalisées. Elles seront les mêmes pour tous. Si la loi sera la même, des lois locales pourront bien sûr exister selon le principe de subsidiarité, un peu comme les états américains qui ont leur propre gouvernement et leur parlement.

Nation building

La question que se pose alors Ulrike Guérot et que l'on se pose tous est "comment imposer un intérêt général européen à des états qui ont des frontières constituées par des législations particulières". Citant Jacques Delors "En France on ne meurt pas pour la démocratie mais pour la république", elle se demande comme nous si c'est toujours le cas. On peut penser que non. Depuis Verdun et La Somme, les descendants des survivants de ces hécatombes se sont posé les bonnes questions. Des états qui peuvent envoyer des millions de gens vers de telles boucheries n'ont plus de légitimité, en tous cas n'ont plus la confiance des citoyens. Dans un sens on pourrait dire que les état-nations tels qu'on les connaît sont morts à Verdun et à Stalingrad. Ils sont en sursis. Ulrike Guérot comme Gilles Martin-Chauffier et d'autres visionnaires comme Yann Fouéré avant eux, l'ont compris. La république d'Europe helvétisée n'est pas plus une utopie que l'était la Révolution française en 1788. D'ailleurs en 1788, 90% des Français ne parlaient pas le français. Et en 1788 il y avait encore davantage de différence entre un Corse et un Alsacien qu'il y en a aujourd'hui entre un Portugais et un Danois. La république française a échoué car elle aurait dû être européenne et girondine. Elle a failli l'être. La révolution avait défini la citoyenneté française comme "quiconque adhère à la révolution." Et effectivement en 1790, des Allemands et des Italiens, des Hollandais, s'étaient déclarés Français et étaient reconnus en tant que tels. Sauf que, Robespierre et les jacobins ont tout fait foirer pour finir par cette tentative monstrueuse, qu'on veut nous faire croire "glorieuse", d'établir cette Europe par la force avec Napoléon Bonaparte.

Réforme ou révolution ?

Les contradictions d'Amandine Crespy se sont révélées assez pauvres, de l'ordre des anciennes divisions gauche-droite. Il est évident que l'évolution proposée par Guérot, cette confédération helvétique généralisée, ne s'intègre pas dans le matérialisme historique de Karl Marx, toujours pervasif parmi les politologues de gauche. Celui-ci avait vu, après les états-nations créés par la bourgeoisie, l'arrivée du communisme et d'une société sans classes et sans nations. Qui y croit encore ? Si Amandine Crespy ne pouvait pas remettre en cause l'analyse d'Ulrike Guérot sur la crise européenne et la perte de confiance des citoyens car c'est une réalité indiscutable, elle a, par contre, sans doute raison de remettre en cause la sincérité d'Emmanuel Macron quant à ses véritables intentions sur la réforme de l'Europe. Guérot cite de temps à autre Macron sur ses intentions de réformer l'Europe. Les derniers présidents français ont tous prétendu vouloir réformer l'Europe alors qu'ils étaient candidats mais y ont vite renoncé une fois élus. Même si Macron était sincère, il est bien trop occupé à réformer l'Etat français pour faire quoi que ce soit ailleurs. Son soutien à Madrid contre la Catalogne, son discours en Corse sont les preuves formelles qu'il ne remettra jamais en cause l'état-nation français, et, pour ceux qui défendent le statu-quo, il serait contradictoire de vouloir aussi abandonner plus de souveraineté à l'Europe et surtout à ses citoyens. Les institutions européennes étant verrouillées par le consentement unanime des états, seul un mouvement populaire venant des citoyens pourra les changer. Les initiatives citoyennes européennes (ICE) sont peut-être une solution. Philippe Argouarch Modifié le 26/02/18 11 heures